À l’été 84, contrairement aux treize étés suivants, je n’ai pas travaillé avec les enfants. J’ai plutôt gardé les cochons. J’avais trouvé une job dans une porcherie d’engraissement pas loin de chez nous. Le propriétaire, un bonhomme déprimé, m’avait engagé à 4 piasses et demie de l’heure pour de multiples tâches afin d’alléger sa charge qu’il n’arrivait plus à assumer.
Je devais faire des jobs particulièrement sales comme gratter la croûte crasseuse qui s’était accumulée sur les murs (ça me recouvrait d’une couche de poussière blanchâtre et nauséabonde, j’en avais plein le nez, les yeux, les cheveux, ç’avait pas d’allure). Il me demandait aussi, chaque jour, de sortir les cochons morts des enclos pour les empiler dehors, au soleil, sur un gros tas de cochons en décomposition. Les pattes me restaient dans les mains, c’était dégueulasse.
D’autres jobs me stressaient vraiment. Il fallait que je l’aide à faire entrer les cochons dans les trucks qui les amenaient à l’abattoir. Les cochons devaient passer par des passerelles improvisées; ils résistaient -on peut les comprendre -, alors le porcher, furieux, les battait à coups de barres de fer, c’était affreux, les cochons criaient, je capotais.
Souvent, aussi, sans me montrer rien, il me demandait de réparer des machines, de calibrer son distributeur à moulée ou d’autres tâches qui dépassaient complètement mes compétences.
J’étais malheureux comme la gale.
Après quelques semaines, je n’en pouvais plus, mais l’idée de lâcher me terrifiait. J’avais 17 ans, j’étais un « homme maintenant », je devais tougher. Je n’en parlais pas à mes parents. Je gardais ça en d’dans.
C’est devenu trop dur.
J’avais préparé ma démission. J’attendrais le vendredi et, au moment où il me parlerait des tâches de la semaine suivante, je lui dirais que j’arrêtais. Ça me demandait du courage. Je l’avais fait. J’avais démissionné.
Je me souviens d’avoir eu la chienne de l’annoncer à mes parents, à mon père surtout. En le faisant, je m’étais mis à pleurer comme un enfant. Mon père et ma mère m’avaient accueilli avec affection. T’as bien fait voyons…
Le reste de cet été-là, je m’étais réfugié dans la lecture et les Jeux olympiques de Los Angeles à la télévision. J’avais plongé dans 1984, le livre d’Orwell qui m’emportait jusqu’aux petites heures du matin après avoir admiré Mary Lou Retton, la jeune et jolie gymnaste américaine qui touchait mon cœur comme celui du reste du monde. Je pense qu’intuitivement, après la dure réalité des cochons, je me permettais un dernier temps d’insouciance.
En septembre, je partais en appartement au cégep de Trois-Rivières en sciences pures. Quelques mois plus tard, en décembre, mes parents se séparaient.